04 Oct Identité de genre : des pistes pour comprendre la polarisation
Nous entendons de plus en plus parler de l’inclusion et du mouvement LGBTQ+.
Dans les dernières semaines, ce sont des manifestations ciblant l’enseignement sur l’identité de genre dans les écoles qui ont polarisé la population. Certains souhaitent éliminer ce qu’ils considèrent comme « une éducation sexuelle inappropriée pour des enfants », alors que d’autres prônent l’inclusion et la liberté de choisir des enfants. Pour comprendre ce qui divise tant, et pourquoi ce débat est autant chargé en émotions, on en discute avec Nathalie Parent, psychologue, auteure et conférencière.
On sent que ce débat vient toucher une corde sensible. Qu’est-ce qui explique cette polarisation, ces réactions extrêmes, voire violentes ?
« Instinctivement, face à une menace ou à quelque chose qui fait peur, notre cerveau répond de deux façons : il nous pousse soit à combattre, ou à l’opposé, à fuir pour sauver notre peau. Face aux questions d’identité ou d’intégrité du corps, certaines personnes peuvent se sentir menacées et attaquer violemment, alors que d’autres vont se tenir loin des débats controversés », explique la psychologue.
Le débat portant sur l’enseignement du concept d’identité de genre à l’école se révèle très viscéral puisqu’il touche les valeurs personnelles et familiales de chacun en matière d’éducation et de bien-être des enfants.
« En tant que parent, on veut transmettre à nos enfants des valeurs qui nous correspondent. Lorsqu’une situation, un débat, ou un comportement vient à l’encontre de ces convictions profondément ancrées en nous, il est possible que l’on réagisse de façon extrême pour se protéger et parce qu’on est convaincu du bien-fondé des valeurs qu’on défend », précise Nathalie Parent.
La psychologue explique que les valeurs héritées de notre milieu familial, de notre religion et de la société dans laquelle on vit, ainsi que les valeurs fondamentales et personnelles auxquelles on est particulièrement attachées sont très durables dans le temps. Il est donc très difficile d’y déroger puisqu’elles agissent comme des repères qui nous servent à prendre nos décisions et à orienter nos actions.
Dans tout ce débat portant sur un enseignement précoce des sujets liés au genre ou à l’orientation sexuelle, certains opposants se disent motivés par la protection des enfants tandis que d’autres militent pour l’inclusion et la liberté de choisir des enfants, qu’en est-il exactement ? Est-ce qu’il y a un âge idéal pour être exposé aux identités de genre ? Est-ce qu’au primaire, c’est trop tôt ? Est-ce qu’on devrait plutôt soulever ces questions à l’adolescence ?
« La diversité culturelle, personnelle ou de genre se pose davantage à l’adolescence ; période où l’on cherche à se définir. L’adolescence, vers 15 ou 16 ans, est une période propice pour aborder les questions d’identité de genre ou d’orientation sexuelle. Les jeunes ont la maturité nécessaire pour nuancer ces concepts, et le fait d’en parler peut aider ceux et celles qui vivent avec ce malaise-là », explique la psychologue.
Mme Parent explique que l’on peut expliquer la différence aux plus jeunes, mais encore faut-il le faire en exposant des faits pour ne pas induire dans le cerveau de l’enfant de moins de 12 ans des notions qui pourraient être anxiogènes.
« Si on expose les jeunes à la différence, il faut le faire avec des faits, en leur expliquant que la notion d’identité de genre ne concerne qu’une infime partie de la population pour ne pas faire monter l’anxiété d’un cran. Une étude, citée par le sociologue et sexologue Martin Blais dans La Presse, rapporte qu’il y aurait entre 1,2 % et 2,7 % d’enfants trans, donc des enfants et des adolescents pour qui l’identité de genre ne correspond pas à celle qui leur a été assignée à la naissance sur la base de leurs organes génitaux. »
Elle poursuit en affirmant qu’il faut bien faire comprendre aux jeunes que le désir de changer de genre ne concerne que très peu de personnes, que c’est quelque chose qui ne s’attrape pas et qu’on peut ressentir en dedans de nous depuis très longtemps.
« C’est important de le préciser aux jeunes pour ne pas inquiéter les plus anxieux. Si ce désir arrive du jour au lendemain, il faut se questionner, car c’est peut-être en lien avec un traumatisme émotionnel ou en réaction à une souffrance. En fait, ce n’est pas un choix à faire comme on choisirait entre une chemise bleue ou rose. C’est un sentiment qui s’impose de l’intérieur. »
Est-ce qu’il est possible d’influencer l’orientation des enfants à travers un contenu éducatif « très poussé » comme le prétendent certains dissidents ?
Le désir de changer de sexe est parfois inné, mais il peut aussi être acquis comme l’explique Nathalie Parent.
« Dès l’enfance, la plupart vont déjà se sentir filles ou garçons selon le sexe attribué à la naissance alors qu’un faible pourcentage le sentiront différemment. Mais pour d’autres, ce désir de changer de sexe peut survenir au terme d’une difficulté vécue ou d’un traumatisme. »
Elle donne quelques exemples, notamment une victime de viol qui pourrait vouloir changer de genre pour ne plus jamais être victime d’agression sexuelle ou encore une fille qui a vu sa mère souffrir d’un cancer du sein et qui pourrait vouloir changer de genre pour ne pas vivre pareille épreuve, ou encore celle d’un garçon qui pourrait vouloir appartenir au sexe féminin en réaction aux propos de sa famille immédiate (parents, grands-parents…) qui méprise le masculin.
Comment devrait-on agir pour aider le jeune qui se questionne sur son identité ?
Il faut aider le jeune à réfléchir et l’amener à se projeter dans le futur ou à prendre connaissance de certaines conséquences liées au fait de changer de sexe.
« On peut lui demander ce qui l’amène à souhaiter un changement de sexe, comment il se voit dans 5 ou 10 ans. Il faut tenter de lui faire prendre conscience que certaines décisions précipitées peuvent être lourdes de conséquences. On ne change pas d’identité, ou de prénom, comme on change de chandail. Il faut tolérer l’inconfort et prendre le temps de réfléchir avec lui sur quelques mois, voire des années, avant de poser un geste menant à un changement d’identité », conseille la psychologue.
S’il y a une constance, une fois l’adolescence terminée, ou lorsqu’on sent que le jeune ne prend pas cette décision par besoin de se révolter, pour provoquer, pour rejeter une partie de lui-même, à la suite d’un traumatisme ou parce qu’il veut être vu et reconnu, Nathalie Parent explique qu’à ce moment-là il y a peut-être quelque chose de plus fondamental et qu’il faut l’accompagner dans ce processus en demandant l’aide de professionnels.
« Il faut faire attention à nos propos en tant que parent face à un enfant-ado. Pour rassurer, on peut mentionner qu’il est normal dans notre société de se questionner, car il existe beaucoup de possibilités. Pour une grande majorité, la fille devient femme et désire être en couple avec un homme et vice versa, mais il existe d’autres possibilités. D’un point de vue développemental, vers l’âge de 3 ans, l’enfant prend conscience qu’il existe deux sexes distincts (gars, fille) avec les avantages et les inconvénients de chacun des sexes. Il devra renoncer à posséder l’autre sexe. Souvent, on voit la fille vouloir faire pipi debout et le garçon vouloir porter un enfant dans son ventre. Le parent a comme devoir d’accompagner son enfant à faire le deuil de ne pas être tout. »
Afin de diminuer la violence de ce débat polarisé, et le risque que certains jeunes souffrent d’intimidation, misons sur la réflexion, l’ouverture et la différence. Questionnons-nous sur ce qui nous fait réagir autant, en quoi est-ce menaçant pour soi-même. Agissons en adulte. Et rappelons-nous que plus l’adulte s’oppose et interdit quelque chose à un plus jeune, plus ce dernier ripostera avec force et voudra le contredire à son tour.
Article rédigé par Marie-Claude Veillette en collaboration avec Nathalie Parent, psychologue. Tous droits réservés.